A partir de 1946 est mis en place le Jdanovisme artistique, violente campagne doctrinaire orchestrée par le protégé de Staline, Jdanov. Il s’inscrit dans le dogme du réalisme socialiste encore plus durci. Ce Jdanovisme artistique réalise une entrée sans précédent des différentes pratiques artistiques. Pour cela on homogénéise les institutions qui se traduisent par une série de processus simultanés, c’est à dire que la production artistique est hiérarchisée et concentrée et qu’elle est diffusée en masse en fonction du critère d’excellence mais aussi les disciplines sont cloisonnées de manière croissante. Fonctionnant comme principe d'unification, l'hégémonie littéraire se manifeste de la manière la plus ostensible dans le théâtre et le cinéma (primats de la dramaturgie et du scenario).Cette hégémonie littéraire dans les arts visuels, elle justifiera les effets épouvantables du programme générale de « verbalisation de l’image » tel que diagnostique par V. Papernyj comme l'une des caractéristiques de la culture stalinienne: l'image y serait réduite a redoubler visuellement et sur un mode uniforme les éléments d'un discours ou d'une réalité nécessairement descriptible de manière logique. Un tel rejet d'autonomie se double d'une stricte hiérarchisation: la peinture de chevalet retrouve sa prépondérance académique et les autres techniques seront peu soumises a un processus de «picturalisation» généralise. Ce problème des relations entre l’image et l’écrit peut être étudié d’une multitude de manière à différentes échelles. Dans la littérature les éléments visuels peuvent voir leur nature préservée et accompagner le texte en s’adaptant aux contraintes de fabrication et d’économie du texte. Mais ils peuvent aussi subir un «transcodage»: nommes, narrativises, ils s'intègrent des lors a l'acte discursif, dans l'écriture elle-même. A ces deux modes d'insertion, «directe» ou «transcodée», s'ajoute ce qu'on appellera le «mode d'existence» propre de l'image. En effet, qu'elle soit «insérée» ou «raconéee», elle peut préexister au texte ou être générée par lui. Ainsi la photographie concrète d'un site ou l'évocation d'un peintre réel dont le texte fait un certain usage se distingueront-ils du paysage imaginaire ou de l'artiste fictif qui sont eux produits pour le servir. Mais l'on sait aussi toutes les transgressions et les interférences possibles de ces catégories: l'histoire tout entière du livre en est faite et le réalisme socialiste ne fait pas exception.
L’écrit du jdanovisme présente deux caractéristiques majeures : -Il fait grand usage de l’objet visuel - Et le poids de l’image traduite y est relativement limité
Durant cette période l’élément visuel concret se retrouve de manière constante dans les publications de l’époque. Le phénomène est d’ailleurs sanctionné suite à la résolution du Comité Central de Juillet 1945 « Sur la mise en forme polygraphique des livres » Tout en ensemble de mesures permettent ce que l’on appellera « l’art du réel«
Malgré des publications assez régit, les applications n’en restent pas moins diversifiées. La typologie des supports n'est pas moins complexe, du livre au magazine illustre, du journal a l'almanach, chacun réalisant son propre traitement de l'image a la fois matériel (format, papier, impression) et fonctionnel (relation texte-image), chacun possédant de surcroit ses variantes génériques (fiction ou vulgarisation scientifique, prose ou poésie, littérature enfantine, etc.) ou statutaires (collections, éditions de masse ou limitées). Ainsi les périodiques on distinguera deux principales catégories que sont la revue spécialisée et le magazine illustre. Dans la revue spécialisée les éléments visuels remplissent un rôle presque uniquement rituel et politique : effigies des dignitaires, galerie des figures exemplaires ou, plus rarement et sur un mode inverse, la caricature. La photographie y cède typiquement la place à la «reproduction d'art» selon le degré de cérémonie ou l'objet de la célébration.
C’est L’illustration qui va s’accaparer les faveurs officielles exposées au salon pansoviétique pratiquée par les meilleurs Peintres. Ce vaut à l’illustration de gagner pas moins de « 10 prix Staline » de 1947 à 1952 Ces brevets d'excellence ne concernent en fait que le sommet de la hiérarchie: l'illustration des «belles lettres», singulièrement des classiques, de Rustaveli (I. Toidze) a Gor'kij (Kukryniksy) ou Majakovskij (B. Prorokov), exceptionnellement des contemporains (L'histoire d'un homme veritable de B. Polevoj par N. Zukov). Dans le même temps, les traditions «organicistes» et les techniques graphiques les plus spécifiques des années 30 (xylogravure de V.Favorskij et de ses disciples, lithographie d'A. Samoxvalov ou de l'ex-filonovien E. Kibrik, crayon epure d'A. Paxomov) se voient momentanément écartées ou marginalisées. Cette illustration trouve son domaine de prédilection dans les éditions de jeunesse et d’enfance. L’imagerie destinée « aux tous petits citoyens » même si n’échappant pas à une régression traditionaliste se doit de préserver une part de l’héritage des années 20 et 30 (V. Lebedev, A. Paxomov). Dans tous les cas l’illustration restera au service du texte dont elle doit «aider a la pleine compréhension», sans pour autant «l'imiter servilement». Cela représente la culture de masse du réalisme socialisme. L’amplification visuelle du message dans le cas de l’affiche se mélange au rôle suppléant de l’œuvre d’art et requière les attestations les plus élevées de la culture artistique.
Dans la littérature divers arts sont représentés, le plus rarement présenté est le cinéma. Paradoxalement celui ci dans le système Jdanovien fonctionne comme un ambassadeur privilégié de la culture soviétique dans le monde. Chaque film soviétique est considéré comme un événement historique avec des projections accompagnant toutes manifestations d’envergure. Avec sa modernité et son reflet qui doit représenter la réalité soviétique, le cinéma a de quoi séduire l’intellectuel nostalgique de l’avant-garde et le militant de base. Le cinéma est l’objet d’expansion de la culture soviétique dans les pays du « glacis » et dans la RDA où l’on diffuse des documentaires sur les défilés d’athlètes et autre fête du travail. On passe le film soviétique Les Cosaques du Kouban. Le cinéma ne donne pas lieux à d’intrigue littéraire. Les films eux-mêmes ne suscitent que de rares références, sans incidence sur l'action, du type «Volodja a vu Capaev six fois de suite»
La photographie est en revanche omniprésente dans la narration. Un récit de Pavlenko sur l'installation en 1945 des colons dans une Crimée dévastée et purgée de ses Tatars (précision pudiquement omise) nous montre un vieillard prenant possession de son logis: il a pour tout bagage les photos de Staline et de ses deux fils encore au front. Tel est le premier usage de cet objet visuel dans l'environnement quotidien. Ce sont les photos des personnages qui remplissent le plus de fonctions, tels que des raccourcis biographiques, l'emploi du passé, ces photos marquent l'espace conventionnel mais participent aussi aux péripéties de l'action.
Le jdanovisme condamne les arts représentant une réalité logique, le discours littéraire le récupère pas l'image, il se contente d'indiquer l'étiquette idéologique, comme le langage, la psychologie etc. Le jdanovisme est hiérarchique, en effet la littérature y est placée au dessus de la peinture. Le Jdanovisme cloisonne les pratiques artistiques tout comme l'intégration au régime qui détruit le tissu social. Les références à des œuvres d'art réel sont beaucoup plus importantes que la photographie ou l'œuvre fictive, en effet elle scolarise et cultive l'homme soviétique engage volontiers la conversation par un «Aimez-vous la peinture?», compare tel site a un paysage de Lévitan, décore sa chambre de reproductions, visite les musées et les parcs de la culture avec sa (son) partenaire; il ne saurait se soustraire au pèlerinage de la Galerie Tret'jakov lors de son passage a Moscou. La, son titre suffira à qualifier une œuvre. «Nous sommes allés a la Galerie Tret'jakov. Tous les tableaux célèbres y sont: Ivan le Terrible, Les trois Preux, Les ours dans la foret»2 Cet énonce typique salue trois œuvres phares qui renvoient a des catégories fondamentales du système: la tradition nationale et l'esprit populaire, la nature, source de beauté et objet de transformations a venir. La galerie d'art est aussi un lieu d'apprentissage à la différence des musées occidentaux dont le visiteur ne sait absolument pas en général donner un sens aux œuvres .Le mot d'ordre leninien «apprendre, apprendre et encore apprendre» se réalise dans tout un ensemble de clubs et de cours destinées à encadrer enfants et adultes, amateurs et professionnels de l'art, sans que ce culte de la formation continue ne contredise la spontanéité: le savoir doit seconder la vision spontanée, l'orienter sans l'étouffer.
Le réalisme socialiste a besoin de l'art moderniste qui est mieux représenté dans la littérature jdanovienne que dans la production soviétique qui détruit l'intégralité de l'Homme et du monde, et du portrait pour s'y reconnaitre. Le réalisme socialiste proscrit tout naturalisme, même si la "ressemblance" est essentielle et importante, la charge affective accumulée et déchargée par l'effigie est tout aussi importante. Cela est tout aussi justifié par le rôle de la "création enfantine", ce qui nous aide à comprendre pourquoi un enfant se permet de déformer les traits perpétuels du Guide " L'artiste représentait le camarade Staline d'une manière pas tout à fait ressemblante, mais on voyait bien qu'il s'y essayait de toutes ses forces". Le réalisme socialisme en plus d'une utopie de la parole idéologique comme représentation du monde cultive une autre utopie apparemment opposée, celle d'une communication transversale fondée sur transmission totale de "l'émotion". Cet élément pourrait mettre mieux en évidence les phénomènes de picturalisation de la photographie et du rôle de l'illustration. Quand on picturalise on nie certes l'esthétique issue du constructivisme et on propose une vision embellie de la réalité mais c'est donc injecter une dose subjective dans la représentation, on montre sa vérité. Quant à illustrer le texte cela revient à la rendre uniforme, mais il est "romanisé" en étant chargé d'émotion. La picturalisation apparait ainsi comme le revers de la verbalisation, tout aussi essentielle pour le système.
La Logolatrie du système, sa Bibliolâtrie se doublent donc d'une manière de culte de l'image qui renvoie aux fondements magiques de l'univers stalinien
 



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