Au début des années 1930, le stalinisme rompt avec certains «acquis» révolutionnaires du temps de Lénine et revient au nationalisme grand-russe ainsi qu'à une vision plus traditionaliste de la société, de l'art, de l'éducation.
Staline restaure ainsi la libre consommation de la vodka, monopole d'État très utile au budget du temps des tsars. Les innovations pédagogiques postérieures à 1917 sont remises en cause, les recherches de nouvelles formes esthétiques dans les arts découragées. Une politique nataliste interdit l'avortement en 1936, et à nouveau après les saignées de la Seconde Guerre mondiale. Le divorce est rendu plus difficile, l'homosexualité réprimée, la «famille socialiste» exaltée.
Loin de l'austérité des années de révolution et de guerre civile, le régime encourage les nouvelles couches dirigeantes (ainsi que les bénéficiaires du stakhanovisme et de l'industrialisation) à consommer et à se distraire. Staline donne le ton en personne quand il proclame que «la vie est devenue meilleure, la vie est devenue plus gaie» (1935).
À partir de 1933-1934, se développe une culture des loisirs. Ceux qui le peuvent se livrent avec frénésie à la découverte du jazz, du charleston et autres musiques américaines . Ils jouissent de la multiplication des cinémas ou des parcs de loisirs. L'URSS fait réapparaître les automobiles de luxe privées, et se dote même d'une industrie de produits de beauté, confiée à la femme de Molotov . En 1935, on voit même le régime autoriser le sapin de Noël, sous le nom d'«arbre du nouvel an».
Staline devant une Zis, marque soviétique de limousine, vers 1935.
Après avoir liquidé physiquement une bonne part de la vieille garde bolchévique pendant les Grande Purges, Staline s'entoure d'une nouvelle génération de dirigeants qui n'a pas fait elle-même la révolution, et qui n'a guère de scrupules à s'écarter de l'internationalisme ou de l'égalitarisme des fondateurs. La nomenklatura et ses protégés jouissent sans états d'âmes de privilèges multiples: datcha villégiatures au bord de la Mer noire ou en sanatorium, domesticité, magasins spéciaux, facilités d'études pour les enfants…
Les symboles mêmes du régime portent témoignage d'un renoncement croissant à l'héritage léninien et d'un retour au traditionalisme, accéléré par la guerre. La «patrie socialiste» est l'objet d'un culte inédit, sensible dès 1934 avec la notion pénale de «trahison de la patrie socialiste» et la création du titre de Héros de l'Union soviétique. Le titre de maréchal est restauré dès 1935, suivi après 1943 par les uniformes et les grades de l'ancienne armée impériale. Hautement symbolique à elle toute seule en tant qu'emblème du militarisme et des privilèges de l'Ancien Régime, l'épaulette est remise à l'honneur. L'internationale cesse en 1944 d'être l'hymne soviétique pour être remplacée par un chant patriotique qui mentionne le nom de Staline. Les «décrets» redeviennent dès 1936 des oukases comme aux temps tsaristes, et en 1943, les camps spéciaux les plus durs du Goulag, les katorga empruntent leur nom au bagne impérial. En 1946, les «commissariats du peuple» ne sont plus que de classiques ministères, et l'Armée Rouge prend le nom officiel d'Armée soviétique. Il n'est jusqu'au nom du Parti qui ne change: au XIXeCongrès du PCUS(b) (novembre 1952), peu avant sa mort, Staline fait abolir la référence au bolchevisme conservé jusque-là dans le nom du Parti.
À l'extérieur, Staline achève de confirmer la renonciation officielle à l’internationalisme et dissout le Komintern en mai 1943. À ses yeux, la révolution ne doit pas s'étendre par des insurrections dans chaque pays (qui risqueraient d'échapper à son contrôle et d'attirer des complications diplomatiques à l'URSS), mais au travers de l'Armée rouge.